Saint Denis, ville du monde
Saint-Denis est une vieille ville : la Basilique, les tombeaux des rois de France, une cité de négoce depuis toujours, une tradition ouvrière dés le 19° siècle… C’est aussi une ville en mouvement, une ville du monde. D’ailleurs le marché, qui se tient trois fois par semaine et attire chaque fois entre 20 et 30000 personnes, se nomme « marché du monde ». Ville d’accueil, ouverte, elle en porte les contradictions. Certaines activités économiques sont prospères et à l’inverse une partie de la population est parmi les plus démunie de France. L’histoire est ancienne, habite une population très attachée à sa cité, et en même temps les nombreux nouveaux arrivants forment une multiplicité de cultures. C’est une banlieue de Paris mais aussi un véritable centre pour le secteur nord ouest de l’agglomération. On y trouve le Stade de France, des quartiers en plein développement et en certains lieux de l’habitat indigne. La ville est meurtrie par de grandes infrastructures et pourtant elle possède de véritables qualités urbaines.
La Municipalité, sous la conduite du maire Didier Paillard, successeur de Patrick Braouezec devenu président de la communauté d’agglomération Plaine Commune, revendique cette tradition d’accueil et entend la vivre comme une richesse. Elle mesure également chaque jour la responsabilité que cela induit, que ce soit en terme d’éducation, d’action sociale ou par exemple de vie collective (la cohabitation de modes de vie différents par exemple et ses conséquences en terme de gestion de l’espace urbain, de sécurité publique, etc.). Depuis longtemps l’action urbaine participait, notamment dans les grands ensembles, à consolider les résultats de l’action municipale. En 2001 fut décidé de rénover le centre-ville. Pourquoi ce choix ?
Le contexte urbain du centre-ville
C’est que le centre de Saint-Denis est le c¦ur de la ville (il bat d’ailleurs au-delà des limites de la commune). Il dispose de toutes les qualités, de toutes les activités de ce qui fait ville : le commerce, les institutions, l’accessibilité notamment en transports en commun, l’attractivité touristique, le rôle résidentiel, les équipements culturels… Il est coutume de dire que c’est un vrai centre pour une vraie ville et non pour une cité dortoir. Mais voilà, avec le temps ces fonctions multiples qui en font la complexité et la qualité avaient peu à peu perdu de leur valeur, quand elles ne se contredisaient pas. Les voitures étaient devenues omniprésentes au détriment des piétons ou des bus, la halle du marché avait vieilli, affaiblissant la vitalité commerciale, peu d’espaces de détente ou de jeu pour les jeunes ou les résidents, une accessibilité devenue difficile, des rues polluées, un parking à demi fermé, un habitat en difficulté… S’y ajoutait la mise en ¦uvre à court terme des travaux liés à deux lignes de tram et à la Porte de Paris, devant compliquer encore l’accès au centre : il fallait donc le rénover mais ceci en un temps court afin qu’il soit attrayant avant les bouleversements à venir.
De la complexité à la démocratie locale
La décision en fut donc prise malgré l’ampleur et la complication d’un tel projet : les nombreuses activités et leurs contradictions sont une richesse mais elles se traduisent aussi par des conflits entre les modes d’utiliser, de vivre la cité. S’y atteler implique donc d’engager une démarche politique, ce qui fit la Ville, forte de sa maturité en ce domaine: l’on s’attaque aux problèmes sans rester dans la posture de spectateur du monde. Que serait le centre aujourd’hui, y compris au regard de ses enjeux économiques ou commerciaux, si ce choix n’avait été fait?
Le site était complexe, les acteurs nombreux, au fait de leur propre logique mais peu rodés aux démarches urbaines ou même collectives. L’élaboration d’un projet me fut donc confiée par la Ville, maître d’ouvrage, puis par Plaine Commune qui prit entre temps la compétence urbaine. Depuis, j’assiste les collectivités dans la mise en ¦uvre.
Rénover le centre consistait à aménager des lieux. Mais c’était surtout réorganiser des fonctions, établir un équilibre entre elles, donner les conditions pour qu’elles se renforcent plutôt qu’elles ne s’opposent. Il fallait aussi les connaître et pour cela impliquer les acteurs. C’est ainsi que la RATP, les commerçants, les équipements sont devenus des partenaires.
Les élus voulaient associer les habitants afin qu’ils nourrissent les projets de leur vécu et parce qu’en cette ville d’accueil, leur implication dans le mouvement de leur cité prenait tout son sens. Le projet urbain fut donc élaboré de manière à rendre cette demande possible et par exemple, un dispositif de concertation fut créé, le groupe de travail habitants, en complément des dispositifs existants tels que les démarches quartier, plus orientées vers les débats touchant les questions générales ou la vie quotidienne. Le projet urbain et les projets spécifiques qui s’en sont suivis, ont alors fait l’objet de discussions, ont généré des réactions et des propositions qui ont permis ensuite d’éclairer les décisions.
Mais cette volonté de mobiliser habitants et partenaires ne pouvait bien sûr exister si chaque fois une solution achevée était présentée. Le diagnostic, le projet urbain et les projets le concrétisant ont donc été élaborés par étape, plusieurs hypothèses étant produites, analysées par techniciens et utilisateurs, discutées avant d’être soumises à la décision des élus et que l’on ne passe à l’étape suivante. Pour ce faire, la gestion des projets a du être très rigoureuse, notamment les plannings, nécessitant toujours d’anticiper les moments clés. Mais pour que le débat soit réel et éclairé, il fallait que même des non-professionnels puissent comprendre les projets. Ceux-ci ont donc été retranscrits de manière très pédagogique par la direction de la Communication.
Du projet politique au projet urbain
Le projet urbain a lui aussi été conduit de cette façon. La réflexion y a été abordée à partir de l’espace public et de ses usages au regard des contraintes d’accès (en transports en commun, en voiture, à pied…) et de la réalité de la vie locale (les commerces, les résidents, les équipements, les visiteurs, le patrimoine…). L’urbain bien sûr ne se réduit pas à cela et par exemple une campagne d’éradication de l’habitat indigne a été initiée. Mais c’est souvent dans l’espace que s’exercent les fonctions, s’expriment les contradictions, se joue la vie collective.
La demande des élus était que chacun puisse trouver sa place dans la ville, sans exclusion, que le dynamisme notamment commercial, culturel ou social soit encouragé. Nous avons donc, avec les techniciens, étudié deux hypothèses de réorganisation du site susceptibles de remplir ces objectifs: un centre-ville grande scène urbaine réservée aux piétons, ou un centre-ville continuant l’existant en diminuant la place des voitures et créant de plus vastes trottoirs. Ces hypothèses ont été analysées en fonction des demandes des élus déclinées en huit grands objectifs. Ont été mesurées leurs conséquences sur l’accessibilité, la vie commerciale, le confort des espaces, la vie des résidents, des équipements, la qualité de l’environnement, le stationnement, l’attractivité touristique, la beauté des sites dégagés, etc. La concertation a fait émerger un troisième scénario : l’hypothèse « bus-piétons ». Ces réflexions ont été traduites en des termes, des dessins, des diagrammes simples puis exposées et discutées avec le public. Les remarques ont été intégrées. Un sondage commandé par la Ville a révélé que 75% des personnes interrogées étaient favorables à une forte piétonisation du centre et, à la suite des Assises du centre-ville de 2002, l’hypothèse « bus-piétons » a finalement été décidée par le conseil municipal.
Les études pouvaient alors continuer pour mettre en ¦uvre concrètement le projet urbain. Ce qui fut fait avec les techniciens, très impliqués dans un rôle de conduite de projet ou d’expertise (en stationnement, circulation, pilotage de projets, espaces publics, architecture, etc.). Traiter de problèmes complexes nécessite en effet une approche à la fois savante et ouverte, coordonnée. L’engagement des techniciens aux côtés des élus a donc été essentiel, quand il faut sans arrêt chercher à des problèmes difficiles des solutions dépassant les logiques sectorielles.
Huit objectifs, 43 projets coordonnés
L’organisation générale du centre décidée, la liste des actions à mener pour les concrétiser fut dressée. Citons l’aménagement des places et des rues, la rénovation de la halle du marché, du parking Basilique et de la signalétique d’accès au centre, la restructuration des transports en commun avec la RATP, l’éradication de l’habitat indigne, l’animation du centre préfigurant son fonctionnement futur, des projets culturels construits autour du projet urbain, le travail de l’Unité d’Archéologie, les mesures en faveur des handicapés, le renforcement de la gestion et de la surveillance de l’espace urbain, etc. Ces actions ont été ou sont encore conduites par des acteurs différents, publics (tous les services des collectivités y sont mobilisés à un titre ou un autre) ou privés. C’est en effet la logique du projet urbain que de coordonner à un moment des réflexions et des actions dans un territoire existant, vivant, pour le transformer de manière efficace, durable et dans le sens d’une meilleure qualité pour chaque fonction.
Cela suppose une coordination rigoureuse. A Saint-Denis, elle fut organisée autour d’une rencontre hebdomadaire pilotée par le Directeur général de la Ville, Luc Bouvet, et l’Adjoint au projet centre-ville, Francis Langlade. Y ont été présents tous ceux qui intervenaient sur le centre : élus, techniciens, maîtres d’¦uvre, partenaires. Un outil de coordination précieux fut également mis en place avec l’aide du GIE Ville et Transports. Il s’agissait d’un document coordonnant tous les plannings des 43 projets. On en comprend bien l’importance quand la rénovation de la place du marché et de la Halle ont nécessité de déplacer plus de 300 commerçants sur la place du 8 mai aménagée pour les accueillir provisoirement, quand études et travaux ont du être conduits de manière telle que le marché regagne les deux sites le même jour, début décembre 2005, avant les fêtes de Noël, pour des raisons économiques évidentes.
Amélioration et réorganisation de la gestion
Dans un site existant, tout ne nécessite pas d’être remis à neuf. Parmi les quarante trois projets, certains supposaient une transformation complète, ainsi la halle du marché ou le secteur des places, d’autres impliquaient une réorganisation seule et ce fut le cas du stationnement, d’autres enfin touchaient à l’amélioration du service et par exemple la gestion de l’espace public fut renforcée.
Il fallait une organisation différente du centre favorisant piétons et bus. Mais une accessibilité aisée en tout autre mode de transport devait être conservée et les fonctions commerciales ou résidentielles renforcées. La règle fut bien sûr que le stationnement se ferait en priorité dans les parkings en ouvrage rénovés et dont la tarification fut âprement négociée par les élus pour rester attractive, dans cette ville comportant une forte proportion de gens pauvres. Mais il fallait aussi permettre aux convois mortuaires de parvenir à la Basilique, assurer la livraison des commerces, garantir l’accès aux riverains possédant un garage sur le plateau piéton, faciliter l’intervention des pompiers, des médecins, etc. Un mode de gestion par borne et PC central fut donc mis au point par les techniciens de Plaine Commune. Sophistiqué, il répond par du matériel technique à des usages complexes et très différents, à l’image de la richesse de la vie urbaine du centre. Pour connaître justement ces usages et y répondre au mieux, plus de 800 personnes, usagers ou habitants du centre, firent l’objet d’un entretien personnalisé de manière à trouver des réponses adaptées ne mettant pas en cause le principe de piétonisation. En ce sens, la rénovation du centre a aussi été un moyen de se rapprocher des demandes, des besoins des habitants ou des acteurs, de mieux comprendre le fonctionnement de la cité
C’est dans le même esprit qu’a été réorganisée par Luc Bouvet la gestion de l’espace public : il s’agissait de considérer le citadin comme un usager à qui l’on doit le meilleur service. Et ce travail a été engagé avant que le centre ne fonctionne dans son mode définitif afin que la Ville ne soit pas prise de court, les travaux achevés. Le service de nettoiement à Plaine Commune a été renforcé, le matériel, les horaires adaptés, une attention au résultat, une évaluation en continu ont été mis en place. Le contrôle de l’espace public a été organisé grâce à la création d’un service de surveillance de la voirie publique, les horaires, les tâches ont été précisées, les moyens réglementaires anticipés. Grâce à cela, c’est toute la Ville qui s’est organisée par anticipation pour s’adapter au nouveau fonctionnement du centre, manière d’assumer sa tâche d’intérêt public en un lieu où il est aussi difficile que crucial de le faire. Un exemple en a été donné par la création de « la présence accueillante ». Il s’agit de l’implication de fonctionnaires volontaires dans l’accompagnement et l’explication au public du projet du centre. Ils sont intervenus notamment lors des « dimanches sans voitures », moments durant lesquels la ville s’est familiarisée avec son organisation future « bus-piétons ».
Et puis bien sûr et c’est le plus visible, des sites ont été réaménagés.
Une série de lieux transformés
Chaque fois un maître d’¦uvre différent a été sollicité par les maîtres d’ouvrage, suite aux procédures légales de choix. Les projets ont été conçus à partir de programmes précis puis discutés et décidés dans les mêmes conditions de concertation que le projet urbain. Quel qu’en soit l’objet, ils ont mêlé attention aux sites et créativité. Citons les architectes Zagari et Fulcrand pour les places : ils ont fait preuve d’une grande inventivité dans des lieux pourtant aux fonctions très complexes comme la place Jean Jaurés. Celle-ci est vraiment belle et fait la fierté de la plupart des dyonisiens. La Halle du marché a été rénovée avec l’équipe BCCP. Elle a retrouvé le lustre de ses origines tout en étant adaptée aux usages et aux exigences d’aujourd’hui, notamment en terme de qualité environnementale. Les architectes Cuno-Brullman associés à l’artiste Roberto Ostinelli ont rénové le parking Basilique. Les automobilistes ont pu y découvrir un espace accueillant, lumineux et fonctionnel quand ces lieux sont souvent traités façon pauvre. Pascal Hannetel, paysagiste, a réalisé dans les rues un projet efficace, simple et d’excellente qualité, à la hauteur de sites dont la fréquentation et les usages sont certains jours considérables.
Tous ces projets ont été menés avec rigueur et coordonnés notamment par la direction de la Voirie de Plaine Commune, dirigée par Céline Pouhaër, qui a assumé à la fois la complexité d’agir sur le centre et le nécessaire travail partenarial. Cette tâche est essentielle car si une collectivité a intérêt à faire appel à des maîtres d’oeuvre ou bureaux d’études privés pour assurer conception ou analyses spécifiques, assumer la conduite de projets complexes en secteur existant demande une ingénierie forte, compétente, portant l’intérêt public. C’est une des conditions pour que les volontés politiques se traduisent dans les actes, pour que les résultats soient à la hauteur des enjeux. La réorganisation des services pour que la gestion de la ville soit assurée sur le long terme en est une autre.
JP. Charbonneau in Revue Urbanisme N° 349, Juillet-Août 2006