Composite et toujours en mouvement, l’urbain est un milieu. Il n’est pas qu’architecture, espaces publics ou modes de transport mais est composé aussi des gens, des compétences, des habitudes, des réseaux, des dynamiques et des tensions, de l’immatériel…
La question posée n’est donc pas « qu’est-ce qu’il faudrait faire dans l’absolu » ou « comment appliquer des recettes » mais « qu’est-ce qu’il est possible de faire là, avec les moyens disponibles, à ce moment, dans ces circonstances, ce contexte urbain, politique, social, économique… ». Et cette réalité complexe, ce milieu est la matière sur laquelle on travaille, de laquelle on tire des propositions de stratégie, de modes de faire.
Ainsi, dans telle ville qui possède une maîtrise d’ouvrage forte, on conduira des projets complexes tandis que dans telle autre, plus fragile, on abordera en priorité des problèmes simples, prenant le temps de former les acteurs. On fera appel dans cette cité à des concepteurs privés tandis qu’ailleurs on formera de jeunes créateurs amenés à agir sur l’évolution de leur ville, ou on s’appuiera sur une maîtrise d’œuvre interne à la collectivité et l’ouvrira, lui fera intégrer peu à peu des compétences complémentaires. En terme de concertation, certaines cités ont une culture ancienne du débat, on avancera alors les études pas à pas, au gré d’une consultation sophistiquée du public. Ailleurs, si ce sujet n’est pas prioritaire, on réalisera plus de l’information qu’une implication réelle du public. Dans les villes européennes où les budgets sont en baisse, on répondra malgré tout aux problèmes posés mais en simplifiant les projets, tandis que dans certains pays bien moins lotis, on fera au mieux avec les moyens existants et les savoirs en place…
En fait, chaque territoire appelle des réponses adaptées, élaborées à partir de l’analyse de ses caractéristiques, de sa personnalité, du milieu qu’il constitue. Des études urbaines sont nécessaire mais il faut aussi aborder les modes de vie, connaître les compétences locales, les acteurs, les moyens financiers…En quelque sorte entrer en dialogue avec le milieu, condition pour que projets et stratégies soient justes et que le processus se poursuive dans le temps, le but étant que le territoire élabore ses propres moyens et méthodes pour conduire son avenir.
Comment faire alors ? Agir sur un tel contexte n’exige pas d’en avoir une photographie parfaite. En effet, réaliser un diagnostic complet, supposé exhaustif, est illusoire et prend du temps, entraînant le risque que les actions se poursuivent sans en tenir compte. Faire le simple constat de problèmes sans chercher à les résoudre n’est pas non plus acceptable, à l’image d’un médecin qui ferait un diagnostic sans chercher à guérir le patient.
Une méthode pragmatique consiste à partir des projets déjà là, des dynamiques en cours et progressivement à les connaître, en mobiliser les acteurs, les aider à travailler ensemble, à discuter des propositions qui ainsi peu à peu se précisent et s’améliorent. Cela part du constat qu’avancer ensemble à partir d’éléments concrets est très efficace et permet de chercher des solutions sur le socle de ce qui nous est commun et qui est plus important qu’on ne le croit. On évite de brandir des problèmes qui divisent, de se disputer sur des grands principes sur lesquels un accord complet ne sera jamais trouvé. Ainsi le concept de gouvernance : il est si général qu’aucune réponse ne satisfera jamais tout le monde. Il est préférable, si l’on veut aller vers des solutions, de parler du mode de décision, de l’étape à laquelle on doit se revoir, du choix de l’implantation des bancs, du programme de l’équipement, des conditions de la contiguïté entre les maisons, de la manière dont le public est sollicité…
Commencer par les projets pour agir sur le milieu et s’en nourrir permet d’enclencher des mécanismes, des actes, des méthodes de partenariat, des jeux de rôles, de compléter des compétences, de complexifier peu à peu la démarche. Les valeurs à défendre apparaissent alors sur des choix concrets, tandis que se distingue ce qui nous est commun et ce qui ne l’est pas.
Ce processus évolutif, en mouvement permet que l’on s’adapte au côté vivant du milieu. S’engageant face à des problèmes admis et qu’il faut surmonter, on accepte l’imperfection, le critiquable, l’empirique, l’improbable : on partage la tentative de trouver une solution. On admet le bricolage, l’expérimentation attentive, les approximations car l’on sait être dans la volonté d’améliorer, de réparer, de transformer. Il est alors plus aisé de trouver des réponses satisfaisantes, aux imperfections assumées. Des connexions peuvent s’opérer, les sujets fonctionnant plus sur le mode de la complicité, de la connivence. On est loin de la défense stricte de théories ou de principes, de l’application de méthodes éprouvées ou de recettes. Mais il y a engagement, peut-être moins glorieux, mais en tout cas efficace pour trouver une réponse à ce stade et dans ce milieu.
La nécessité qu’il y aurait à agir concrètement face à un problème aurait-elle plus d’importance que les mots, les arguments, les démonstrations ? Faire avec les autres et non contre les autres ne dispense en rien de défendre des points de vue, d’argumenter, mais on doit forcément aller à la recherche de solutions et avancer ensemble. N’est ce pas une des perspectives fécondes de l’évolution de la société urbaine ? En tout cas être à l’écoute du milieu est peut-être une solution pour assurer sa gestion dans le temps, tirant de sa connaissance idées, dynamiques et projets et lui donnant alors la capacité à agir au gré de sa propre transformation.
(Tous Urbains N°15)