« Le plan d’action pour les espaces urbains de Copenhague »
Des territoires de centralité à Copenhague.
Copenhague a près de 600 000 habitants dans une agglomération qui en compte 1,8 million. Elle vit actuellement une forte évolution du fait notamment de son poids économique de grande métropole européenne, à quelques kilomètres seulement de Malmö et donc de la Suède par le nouveau pont inauguré en juin 2000. Son attractivité est également due à son statut de capitale politique du Danemark. Pour donner un cadre de cohérence à ces changements, la municipalité a depuis le milieu des années 1990 engagé de nombreuses études, notamment sur la structure de la population et son mode de vie. Celles-ci ont permis de nourrir le projet politique et sa traduction urbaine, dont une des facettes concerne les espaces publics et fait l’objet d’une approche spécifique au travers de l’«Urban Space Action Plan».
Copenhague possède un port qui l’ouvre sur la mer. Celui-ci a, comme bien d’autres en Europe, opéré de profondes mutations du fait de la disparition progressive des activités industrielles qui y étaient établies. L’économie de la ville a donc en dix ans évolué vers le secteur tertiaire. Des terrains ont été libérés, offrant la possibilité de vastes développements urbains. Les modes de vie ont changé.
Un peu d’histoire encore. C’est à Copenhague qu’en 1962 fut créée la première rue piétonne au monde. Longue de 2 kilomètres, elle est connue à présent sous le nom de «Stroget». Le secteur piéton s’est depuis étendu dans le centre, c’est-à-dire la ville historique. Il s’agit de la première génération d’espaces publics. Pionnière à son époque, elle a marqué l’importance du confort, de l’attractivité des espaces dans la qualité de la vie sociale. Le patrimoine et l’histoire ont trouvé là une légitimité dans la constitution de cette centralité, un rôle de cadre fondateur d’une urbanité retrouvée et assumée.
Durant la seconde phase, de nombreux lieux de rencontre et places ont été réaménagés, reflétant un certain style scandinave attentif au design. La ville est devenue le théâtre de la vie urbaine : de nombreux cafés ouvrant leurs terrasses été comme hiver, des musiciens, des skaters, des enfants jouant dans les rues… À sa manière, différente de celle des villes de la Méditerranée, mais avec une réelle intensité, Copenhague vit dans ses espaces publics.
Nous sommes à présent dans la troisième génération d’espaces, qui correspond aux changements advenus dans la structure de la population et dans son mode de vie. La communauté était plutôt âgée, elle est plus diverse et multiculturelle. Les immigrés, les familles avec de jeunes enfants ont des usages différents de la ville. Avec l’augmentation du travail à domicile, du télétravail, la vie de quartier est plus importante. Les espaces doivent répondre à ces nouveaux besoins en favorisant la diversité et une identité moderne.
Un Plan d’action pour les espaces urbains de Copenhague (CUSAP) a donc été commandé par la Ville de Copenhague. L’élaboration en a été confiée aux services techniques municipaux assistés de Jean-Pierre Charbonneau, urbaniste et conseiller de la Ville. Trois ateliers ouverts au public et rassemblant techniciens, représentants d’associations, experts extérieurs, artistes ou universitaires ont d’abord été organisés en 2004. Préparés par l’administration, ils avaient pour but d’échanger largement à propos des modes de vie, des attentes, des méthodes de concertation, du processus d’élaboration, etc. De nombreuses idées en sont ressorties qui ont souvent pu être prises en compte.
Le plan d’action en cours de validation est d’abord un projet politique. Porté tout au long du processus par les élus, il s’appuie sur une vision. D’une part, il entend renforcer le rôle de métropole européenne de Copenhague, dynamique, attractive, à l’identité forte et capable aussi d’évoluer. D’autre part, son but est d’améliorer la qualité de la vie urbaine, des grands lieux et fonctions métropolitaines aux quartiers résidentiels et à la vie quotidienne.
Trois principes le guident. D’abord, toute action doit être menée dans le but premier de l’humanité, de l’urbanité des projets réalisés et chaque intervention doit être choisie puis imaginée pour aller dans ce sens. Cela signifie qu’au lieu de l’application de recettes, les projets et les coûts doivent coller au plus près du résultat escompté en termes de qualité d’usage. Le deuxième principe consiste à renforcer la cohérence de l’action publique. Les politiques de stationnement, de transports, de mobilité (un déplacement sur trois se fait à vélo) ou encore de développement durable sont donc coordonnées au Plan d’action. Enfin, l’organisation, les méthodes sont orientées pour améliorer l’efficacité et la qualité des projets. Il s’agit d’apporter des réponses à l’échelle de la ville entière, de faciliter le dialogue avec les habitants et les acteurs de la cité et de ses quartiers, et d’intégrer dans la production des projets le renfort de compétences extérieures.
Nous sommes loin de la première génération des espaces publics qui se focalisait sur le centre historique. La Ville a depuis acquis un grand savoir-faire dans la fabrication et la gestion des lieux (au cours de la deuxième période), et elle entend à présent être au plus près de la vie contemporaine et même anticiper les usages nouveaux. L’un d’entre eux est la mobilité. Pour y répondre, les actions dépassent la rénovation de squares ou de rues piétonnes du centre. Elles s’intéressent au contraire autant aux lieux de la vie sédentaire qu’à toutes les centralités de la ville et de ses quartiers : les rues commerçantes, les stations de métro, les sorties d’université ou d’équipement culturel, etc. Elles entendent les relier les unes aux autres au sein de véritables réseaux, supports des déplacements dans les quartiers. Non plus la seule centralité historique, pas seulement les places ou les squares, pas uniquement les c¦urs des quartiers résidentiels, mais tous les lieux et les liens qui correspondent aux usages quotidiens des citadins. Des cartes ont ainsi été produites qui illustrent les réseaux possibles aux différentes échelles de la cité. Elles s’appuient évidemment sur les projets déjà engagés tels que les nouvelles lignes de transports ou les nouveaux quartiers.
Pour autant, il ne peut être question de tout remettre à neuf. Les finances publiques ne le permettraient pas et ce ne serait probablement pas opportun (la vie bouge!). Un procédé original a alors été imaginé, qui s’appuie notamment sur le savoir-faire des services techniques. Il s’agit, en complément des projets traditionnels qui refondent en totalité un lieu, de répondre à la création de liens ou de certains espaces par des propositions simples et peu coûteuses. Élargir un trottoir sur plusieurs centaines de mètres sans reprendre la chaussée, l’écoulement des eaux ou le profil; fermer une rue sans grâce pour l’allouer aux jeux ou à la rencontre en l’embellissant simplement; ouvrir des espaces aux fêtes, aux manifestations artistiques ou sportives de manière provisoire ou périodique; élargir un secteur piéton sans modifier de manière substantielle son aspect; développer à grande échelle la présence de fleurs, de végétaux, d’arbres… Telles sont quelques-unes des actions en cours d’étude et dont la mise en oeuvre devrait commencer en 2006.
Les premières opérations seront bien sûr choisies selon un certain nombre de critères. L’un d’entre eux constitue une approche nouvelle, plus complexe et peut-être plus moderne du thème de la centralité. Il s’agit de concevoir des secteurs de projet cohérents, intégrant à la fois la réalité d’usages sédentaires et celle de la mobilité au sein du territoire, et facilitant la mise en réseau. Le quartier d’Amager en constitue un exemple. Une proposition a été élaborée à partir des lieux actifs de ce quartier du sud de la ville – la rue commerçante, les écoles, les places, les stations de métro, la nouvelle plage au bord de la mer, etc. Des liens entre eux sont suggérés, concrétisés par un réseau de rues, de mails, de sentes, de trottoirs ou de boulevards. À cela s’ajoute la mise à disposition des citadins de sites de proximité aujourd’hui inutilisés. L’ensemble s’appuie sur les projets plus conséquents déjà engagés, les complète et constitue un véritable maillage de ce territoire, réponse à la complexité présente des usages qu’il renferme.
Jon Pape, directeur des Espaces publics à la Ville de Copenhague et Jean-Pierre Charbonneau, consultant, conseiller technique de la Ville de Copenhague pour l’urbanisme in Catalogue de l’exposition « Voies publiques », Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2006