Développement urbain, attractivité et vie démocratique locale

L’attractivité d’un territoire est loin de n’exister que par ce qui fait symbole, mais elle est fondée beaucoup sur ce qui donne envie de vivre là, ou de venir s’y installer. Le développement urbain en est un des vecteurs, qui ne passe pas que par des projets prestigieux mais mobilise tout ce qui produit de la qualité de vie. Tous les thèmes de la vie urbaine sont donc concernés, y compris le quotidien. Un des ressorts de l’attractivité est alors la valorisation des ressources propres, partant du fait qu’une ville, un territoire sont pour une grande part déjà existants, avec leur personnalité et leurs acteurs, qu’il convient de mobiliser autour d’un projet partagé.
Mettre en oeuvre ce développement urbain raisonné, souligne Jean-Pierre Charbonneau, permet, bien plus que la seule recherche d’image, de donner les conditions d’une maîtrise en continu de la mutation. C’est le support de la création d’une dynamique sociale et un levier pour la vie démocratique locale…

Après tout pourquoi une ville, un territoire devraient-ils évoluer ? Ne peut-on rester entre soi, arrêter le mouvement, se contenter de ce que l’on a ? Peut-être, et l’idéologie du développement à tous crins, de la course continue vers l’avant a du plomb dans l’aile. Les questions posées par le type de développement en cours depuis des décennies ne sont pas fausses. Elles devront trouver des réponses concrètes et pas seulement à un hypothétique niveau planétaire, car l’échelon local est aussi un niveau auquel on peut et doit faire des choix.
Cependant, laisser croire qu’une cité peut s’abstraire de l’évolution, se figer dans un état donné, est un leurre pour de multiples raisons.
Faisons un exercice de prospective simplifié.
Il existe de nombreux échanges entre les territoires, mais si un déséquilibre existe entre eux, faute d’intervention, il s’accentuera. Et s’il y a manque d’activités ici, il y a alors moins d’emplois, l’on va donc en chercher ailleurs. De même si l’habitat se dégrade et ne correspond plus aux demandes actuelles, une part de la population s’en va pour habiter plus loin. Se concentrent alors les populations captives, mettant en cause la mixité et accentuant les difficultés sociales. La population et les activités diminuant, les recettes baissent tandis que les problèmes à résoudre augmentent. Qu’en est-il alors des investissements publics nécessaires en termes de services urbains, de déplacements, de vie culturelle, d’éducation, de loisirs ? Comment faire face aux nombreuses friches qui ne constituent pas tant des opportunités que des charges en plus, quand le secteur privé se révèle bien peu présent dans un tel contexte ? Comment résoudre des problèmes urbains, des inégalités grandissantes avec des moyens de plus en plus faibles? Et la qualité de la vie citadine diminuant au regard de l’offre que d’autres territoires apportent, les activités économiques susceptibles de s’implanter vont plutôt ailleurs…
La nécessité du développement : une conviction partagée
Cette vision n’est pas un scénario catastrophe. Cela s’est passé de manière semblable dans de nombreuses villes suite aux restructurations industrielles des années 1970 et 80 : une évolution naturelle n’est pas vertueuse. La plupart de ces cités le savent, qui se sont battues pour retrouver une place, un attrait, un rôle, pour de nouveau être des lieux de production de richesse et d’épanouissement des personnes. Et l’on sent bien intuitivement, après toutes ces années, que certaines villes semblent à présent porteuses d’énergie, d’enthousiasme collectif, quand d’autres semblent fanées.
Ce court essai prospectif — bien sûr caricatural —, entend montrer en négatif les enjeux du développement urbain. À présent, chacun est en général convaincu du fait qu’il n’y a pas vraiment de choix, que l’inaction serait dramatique. L’objectif est souvent partagé que la ville, le territoire, doivent évoluer et se construire un avenir collectif se déclinant aussi en avenir individuel. Reste à savoir que mettre dans le terme de « développement urbain », quelles priorités se donner, quelle stratégie adopter ?
Des éléments constitutifs de l’attractivité urbaine
Dans les années 1980, avait cours cette vision simpliste que l’attractivité reposait sur l’image obtenue à coups de grands projets faits par de grands architectes. Si cette approche peut servir de levier, d’accélérateur, comme d’ailleurs les opportunités fournies par de grands évènements sportifs ou culturels (les JO, Lille 2004…), elle ne peut se suffire à elle-même. Toutes les villes ne peuvent accueillir les Jeux Olympiques et il est bien plus efficace de construire une stratégie solide, embrassant les courts, moyens et longs termes et s’attaquant à la réalité, à la complexité de l’Urbain et non à son écume. Les « coups » n’ont souvent d’effets qu’éphémères alors que la vie urbaine bouge en continu. Il faut donc être en mesure de l’accompagner, d’en maîtriser les évolutions, en continu aussi, et sur tous les domaines de l’Urbain. C’est cette constance qui fait vraiment changement, car les résultats en sont pérennes, ancrés solidement, construits sur des bases, des analyses et des projets solides, dont les effets peu à peu s’additionnent. Ils construisent aussi des compétences précieuses pour améliorer la capacité du territoire à maîtriser son destin. Au contraire, ne s’attacher qu’au projet de prestige mobilise beaucoup d’énergie, de savoir, d’argent sur un temps assez long et pour un effet très partiel, celui de la fonction qu’il est censé assurer, de l’image qu’il est censé donner, n’induisant que de faibles changements sur les autres domaines de l’Urbain. Or, la ville, l’Urbain, sont des sujets en mouvement qu’on ne peut travailler comme s’ils étaient statiques. Les pathologies, si elles ne sont pas abordées, ne font qu’augmenter, creusant encore les écarts.
Une attractivité fondée sur la qualité urbaine globale
L’attractivité d’un territoire suppose que l’on ait envie d’y venir ou d’y rester. Quelles peuvent en être les conditions ?
Il faut que l’on puisse y vivre bien et donc que l’environnement y soit agréable, confortable ; que l’on puisse y trouver les services, le travail auquel l’on prétend ; que le territoire soit accueillant, pour les hommes et les activités, qu’il fonctionne bien, favorisant notamment les mises en réseaux entre les acteurs ; que l’on puisse s’y épanouir dans une société urbaine humaine, vivante et inventive… Pour cela, il faut peut-être des projets prestigieux, qui font image à l’extérieur, mais il faut également et surtout des actions qui améliorent la vie quotidienne et l’activité, tout en renforçant le sentiment d’appartenance.
Des thèmes immatériels sont concernés : la culture, l’éducation, les services, la vitalité économique, les loisirs, la richesse de la vie sociale ou des moments collectifs (les fêtes, le sport, etc.). Mais s’y ajoutent aussi des actions urbaines très concrètes telles que : la rénovation de l’habitat pour correspondre aux aspirations actuelles en matière de logement ; la création de parcs, de squares, d’espaces publics ; la réorganisation de l’accessibilité avec le développement des transports en commun ; la construction d’équipements culturels, éducatifs ; le renforcement de la vivacité urbaine du centre et des quartiers ; la résolution des problèmes des grands ensembles ; l’attention portée à la complémentarité entre petit commerce de centre-ville (qui participe à la qualité de la vie urbaine) et grandes enseignes commerciales ; la diminution de la pollution, la préservation de l’environnement ; le renforcement des liens avec l’extérieur, et même la propreté…
En fait, ce sont tous les thèmes de la vie urbaine – y compris dans leur dimension sociale, avec la réduction des inégalités territoriales – qui, ajoutés aux choix de priorités et aux modalités de mise en oeuvre, constituent la politique urbaine.
Un ressort : valoriser les ressources propres du territoire
Sauf exception, une ville n’est pas à faire, elle est déjà là. Son attractivité ne repose donc pas que sur la création de ce qui serait nouveau (nouvel équipement de prestige, nouveau quartier, nouvelle zone d’activité) mais pour beaucoup sur une meilleure gestion ou une mise en valeur de ce qui existe. Elle n’est pas seulement consécutive à un ajout, elle naît des qualités redonnées à ce qui est : un patrimoine construit à rénover ou adapter, un paysage, des collines, des rivières à rendre visibles et accessibles, à libérer de ce qui les a encombrés, un potentiel humain, urbain sur lequel s’appuyer, une vie des quartiers, des ambiances à favoriser, à protéger, des réseaux à renforcer, à dynamiser…
En complément, bien sûr, elle naît aussi de la résolution des problèmes : les difficultés urbaines et sociales des grands ensembles, les vides (mais aussi les opportunités) induits par les friches, les coupures faites par les infrastructures routières ou par une mauvaise gestion du territoire, le déséquilibre possible avec d’autres centres urbains, dans un contexte territorial plus large…
Des solutions spécifiques pour chaque cité
Chaque fois, des solutions adaptées à la personnalité de la cité doivent être trouvées. En effet, non seulement le contexte urbain n’est jamais le même, mais tel projet pertinent ici sera un contre-sens ailleurs, car l’on n’habite pas sa maison, l’on ne vit pas dans l’espace urbain partout de la même manière. D’autre part les capacités financières ou de maintenance, les techniques utilisées, les ressources humaines par exemple, sont différentes.
À ce sujet, plutôt que de ne faire que « parachuter » des professionnels extérieurs qui ne restent pas sur le territoire, il est autrement plus intéressant que, sans ostracisme, soient résolument construites des ressources locales qui permettront au territoire de posséder les savoirs, les milieux professionnels, les méthodes à même de conduire son évolution. On pourra pour cela s’appuyer sur des opportunités déjà là, et notamment les écoles.
Il s’agit de traiter du confort, de la mise en valeur de la cité. Les solutions passent donc par des grands projets, par de la transformation complète : la création d’un parc, la construction d’un équipement régional, une place rénovée, une rue percée, des logements reconstruits… Mais elles sont aussi dans une meilleure gestion quotidienne : comment renforcer la propreté, améliorer la collecte des déchets, favoriser par des bancs et de l’éclairage le confort quotidien, assurer une présence des services municipaux cohérente avec les temporalités de la vie de la cité, comment simplifier l’accueil des entreprises ?
Cela ne peut donc être seulement le fruit de quelques personnes, mais engage, par nature, les acteurs, les partenaires de l’Urbain dans leurs multiples tâches et quels que soient leurs secteurs.
On le voit bien avec le thème de l’activité économique. Elle ne peut se fonder seulement sur l’apparition miraculeuse d’une entreprise tombée du ciel, mais se construit sur le terreau des activités existantes, en réseau avec d’autres ressources. Il faut libérer des terrains pour accueillir de nouvelles entreprises et donc une politique foncière, faciliter la constitution de pôles géographiques reliant écoles, organismes de recherche et activités. Il faut des transports intérieurs et extérieurs efficaces, des informations crédibles en direction des entreprises et donc bien gérées, une bonne lisibilité de la stratégie publique, le soutien actif du secteur privé, de bons professionnels… en fait un processus complexe associant un grand nombre de partenaires et dont dépend la qualité du résultat.
Un des support du développement : créer une dynamique d’acteurs
Il y a plusieurs décennies, l’on s’attachait plus à construire du nouveau qu’à rénover ce qui existait. Mais la décentralisation a permis aux collectivités d’apprendre à mieux aborder la complexité de l’Urbain et des tâches à accomplir. Elles analysent mieux les problèmes et se créent des savoirs pour les résoudre. Ce qui est nouveau n’est plus traité sans cohérence avec ce qui existe. L’on coordonne mieux ce qui est de l’action lourde et ce qui relève d’une meilleure gestion.
Pour mobiliser les acteurs, il est important que soit élaborés un projet pour le territoire, une vision, facteurs de cohérence entre toutes les initiatives, publiques ou privées. C’est là le rôle du politique qui donnera les orientations, le cadre, fera les choix nécessaires, veillera à ce que les moyens soient mobilisés, que les réponses soient bien apportées. Mais cette vision doit être comprise et recueillir l’adhésion pour être support d’une dynamique.
Il n’y a bien sûr pas de recette pour rendre possible et opérant ce partenariat. Mais chaque collectivité devant assumer la responsabilité du développement urbain, en particulier grâce à son administration, elle doit se construire ou renforcer ce qui doit constituer pour elle une des facettes de son professionnalisme. Les exemples ci-après illustrent quelques pistes : partager, dans un souci de pédagogie, la connaissance, le savoir sur l’urbain, notamment par des documents, des illustrations compréhensibles par tous ; donner à comprendre avec simplicité les enjeux ; mettre en débat de manière ouverte les alternatives, les réponses possibles à partir d’analyses éclairées ; caler les étapes de la concertation précisément dans le planning d’étude pour qu’elle ne soit ni un frein ni une corvée ; prendre le temps d’écouter les réactions, de les étudier, de les transcrire pour en nourrir les arbitrages éventuels, pour en faire évoluer les projets et les enrichir ; organiser des lieux de décision clairs, efficaces, expliquer les choix…
Les projets, supports d’une dynamique sociale et démocratique
La concertation est une des conditions de la pertinence d’un projet. À l’inverse tout projet, toute transformation peut constituer, si certaines conditions sont remplies, un support de dynamisme social, quel qu’en soit le thème : la rénovation d’un espace public, la construction d’un équipement, la requalification d’un quartier, de logements, la réorganisation de transports publics, etc.
En effet, l’évolution, le mouvement donnent l’occasion de débats avec le public ; ils sont un moyen de toucher les acteurs, habitants ou partenaires, en entendant les attentes, en connaissant mieux la complexité des manières dont chacun vit la ville, en abordant les contradictions qui en découlent. Ils permettent de résoudre de manière plus sereine les conflits en les mettant à jour, les analysant et montrant les alternatives possibles. Ils donnent la possibilité de renforcer à chaque fois la qualité de la vie démocratique du fait des règles de débat ou de décision construites, des méthodes de partage de connaissance utilisées, de la manière dont les projets sont élaborés par étapes en se nourrissant de la réalité des attentes sociales.
C’est donc, pour un territoire, un élément fondateur de la maîtrise de sa mutation et une occasion de sa vitalité, un vecteur de son dynamisme.
Alors que la ville est un des terrains possibles de la résolution des problèmes sociaux, une telle approche est précieuse, dans les villes européennes comme dans bien des villes du monde, où s’ajoutent souvent aux difficultés sociales et urbaines, des situations politiques délicates, avec des démocraties encore fragiles ou en devenir. Elles peuvent trouver là, localement, un support pour le développement de la démocratie, un moyen de renforcer la qualité de la vie et de la vie politique, comme certaines villes d’Amérique latine en témoignent.
Bien des questions, bien des thèmes restent en suspens. Ainsi, rien n’est jamais acquis, car la ville est changeante, comme le monde. Il s’agit donc plus de mettre en marche des processus dont les effets se poursuivront en évoluant, plutôt que d’imaginer des réponses définitives, qui cèleraient une fin : une discipline en construction dans une société urbaine en mouvement.
J-P.C.