ENSAG GRENOBLE
Séminaire « Marcher en ville »
Il est un joyeux temps des utopies dans lequel Métropolis était l’image de la modernité. La manière dont l’homme se transportait était le thème par lequel le futur s’imaginait, se représentait, forcément mécanisé. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les citadins contemporains certes se déplacent mais les moyens ne sont pas si inimaginables que cela : un bus, une voiture, un vélo, un train et même la marche à pied. C’est cela la modernité : avoir une offre de transports multiple. Accéder aux déplacements virtuels rendus possibles par internet l’est aussi bien sûr, mais ils n’ont pas supprimé toute velléité de transport physique. Il n’est que de voir une gare d’interconnexion à 6h du soir ou un parc un dimanche après-midi de printemps.
Aujourd’hui et pas seulement dans les villes européennes, on assume de vivre en ville, on souhaite y trouver les services que l’on est en droit d’attendre et l’on veut y être bien. La ville n’est plus seulement lieu de production mais est revendiquée comme lieu de vie. Alors on y circule en voiture ou en bus mais on y fait aussi ses courses, on y flâne, y travaille ou on se rend à un rendez-vous. La vie urbaine est devenue riche, complexe. On va quelque part, on s’arrête dans des lieux, on change également de mode de transport.
Et la marche, dans cette mobilité plurielle caractéristique de nos villes, joue un rôle essentiel, même si les politiques de déplacement visent à la limiter au maximum. Elle est un des modes non démodé de vivre dans une cité. Ce n’est en aucun cas une pratique surannée mais elle participe au contraire à faire urbanité, avec sa richesse mais aussi ses logiques contradictoires et ses conflits.
Pendant longtemps on l’a oubliée comme mode de déplacement légitime. Les voitures ont été privilégiées, maintenant les transports en commun, aujourd’hui et demain les vélos. Et chacun de ces modes est porté par des lobbies, développé par des professionnels compétents dans leur propre logique. Chacun représente un poids économique et politique.
La marche et le piéton sont bien banaux. Ils ne forment pas encore un pouvoir porté par un groupe de pression puissant.
Or pour qu’ils s’exercent il faut de l’espace. Il est maintenant admis que le piéton sédentaire trouve son territoire dans les espaces publics courants : les parcs, squares, places, etc. Mais la marche s’exerce sur des lieux qui font liens c’est-à-dire les rues, les trottoirs, les boulevards, les avenues, les lieux d’interconnexion…L’on se rend à l’école, ou à la mairie, ou dans le secteur commerçant et pour cela on a besoin d’espace.
Or la dimension des rues est déterminée, non extensible. Alors, intégrer l’espace nécessaire à la marche dans les lieux des villes revient à mettre en négociation cet usage avec les autres qui se sont développés depuis des décennies. Cela revient à bousculer les lobbies, les pouvoirs constitués, les organisations en place, les savoirs spécialisés. Il est à ce sujet éclairant de comparer la sophistication des compétences en matière de déplacements en voiture, qui permet de calculer des carrefours, de gérer les flux en temps réel, et l’indigence de l’intelligence mise au service de la marche. Deux personnes poussant une voiture d’enfant ne peuvent souvent pas se croiser sur un trottoir, il n’est jamais question d’unités de passage et que dire des passages piétons dans les carrefours.
A ce sujet, les nouvelles lignes de tram que l’on crée dans toutes les villes ne donnent pas une meilleure place à la marche quand les trottoirs ne font souvent pas plus de 2,5 m sur une rue de 30m de large. L’on aura souhaité ne pas trop pénaliser la voiture et surtout favoriser un maximum d’alignements d’arbres pour répondre au lobby des arbres en ville.
En somme la marche est un usage légitime et développé de la pratique de la ville mais elle n’a pas acquis un poids suffisant pour sinon s’imposer du moins trouver sa place par rapport aux autres usages. Il ne s’agit bien sûr pas d’en faire un diktat, juste de la prendre en compte et de la rendre efficace et confortable au côté des autres usages des espaces de la ville.
Cela ne se fait et ne se fera pas sans négociation, sans conflit, sans arbitrages, naturels dans notre société urbaine. Et pour éclairer ces discussions, ces décisions, le projet est nécessaire qui prend la complexité d’un sujet pour en ressortir des hypothèses assurant un équilibre entre des contraires. Encore faut-il que les projets à l’étude dans les villes intègrent déjà la marche comme un des usages légitimes.
Il faut remettre le piéton dans la course et c’est un acte politique car il fait bouger non seulement l’espace de la ville mais aussi la société urbaine et ses pratiques, les organisations qui en sont le moteur et qui la gèrent. L’urbanité qui est faite d’avancées mais aussi de conflits et de pathologies y gagnera.
Ces propos seront illustrés d’exemples pris dans diverses villes.
A Saint-Denis l’on montrera comment la négociation entre tous les modes d’usages du centre-ville a conduit à privilégier les piétons et les bus tout en organisant finement les autres usages.
A Plaine Commune, l’on expliquera comment la valorisation de l’espace public est une des fondations du projet de territoire (le SCOT), comment l’on prend en compte les lieux sédentaires, ceux de la mobilité et ceux qui font lien et notamment favorisent la marche.
A Copenhague, l’on décrira le « Copenhagen Urban Space Action Plan », plan d’action qui donne sa cohérence à toutes les transformations de l’espace urbain de la ville et de ses quartiers. L’on parlera de la recherche d’un équilibre entre les modes de mobilité favorisant cependant piétons et cyclistes.
Dans diverses villes d’Amérique latine et dans le cadre du programme SIRCHAL, l’on expliquera comment parler de trottoirs permet de rapprocher les professionnels, de mobiliser les citadins et de convoquer la politique.
Paris le 26 juin 2007