Urbanisme et pédagogie.
Il est courant de penser que les professionnels de l’urbain ont à faire comprendre à d’autres, et notamment au public, les projets qu’ils ont, en tant que propriétaires du savoir, légitimité à vouloir imposer. Cette position est d’un autre temps. Certes, l’urbanisme correspond à un savoir-faire. Mais celui-ci doit s’exercer dans un contexte où la ville n’est pas tant à faire qu’à faire évoluer. Alors, évoquer les termes de pédagogie urbaine c’est d’abord traiter d’une concertation qui ne soit ni naïve ni machiavélique mais un des instruments pour aborder la complexité des contextes urbains ou des acteurs impliqués. Ce peut être également parler de culture comme un des éléments pour apporter du sens à l’évolution des villes.
Les lieux de la ville sont déjà vécus. On ne peut donc prétendre les changer sans tenir compte des pratiques, de l’histoire qui fondent et justifient souvent les projets que l’on y porte. Pour ce faire, le rapport pédagogique ne doit pas s’instaurer de manière déséquilibrée entre ceux qui savent et ceux que l’on doit éduquer. Car ces derniers sont justement ceux qui ont le savoir de l’expérience. Il ne s’agit donc pas tant de faire accepter à tout pris une proposition en limitant les discussions que de faire comprendre absolument ce qui est en jeu pour nourrir des débats, en recueillir les fruits, alimenter le projet, lui donner son ancrage, sa pertinence. En conséquence, la pédagogie passe par des méthodes dont l’objectif est résolument de partager le savoir, de générer des réactions par des documents très lisibles, faciles à aborder par tous (1), par des débats éclairés, animés par des professionnels, par une maîtrise du temps qui permettra aux projets d’évoluer, etc.
Ainsi, à Saint-Denis, plusieurs hypothèses d’évolution du centre ont été élaborées par les services de la ville et moi-même, à la demande du maire, Patrick Braouzec. Une concertation tous azimuts, attentive à la compréhension de tous, a alors été engagée pendant plusieurs mois avec l’aide du service communication auprès des résidents, des commerçants, des maîtres d’ouvrage divers, du grand public. L’écoute des réactions a livré de nombreuses informations sur les différentes manières dont le centre était utilisé ou perçu, permettant de préciser le contenu des propositions. Une hypothèse supplémentaire a même pu être élaborée tandis qu’une autre s’avérait inacceptable. Le choix du conseil municipal a alors pu s’exercer de manière éclairée et il s’est porté justement sur l’hypothèse née de la concertation et peut-être la plus novatrice : allouer les espaces du centre à un usage mixte bus-piéton. Et dans le même temps, la concertation a créé une dynamique permettant de passer de la rénovation de quelques sites à une quarantaine de projets portés par des maîtres d’ouvrage divers.
L’action publique urbaine n’est pas, on le voit, tant celle d’un démiurge que celle d’un coordonnateur, capable de donner les impulsions, de mobiliser des acteurs, d’orienter les choix au profit de l’intérêt public, de porter la responsabilité politique. Plus que d’imposer un point de vue, il s’agit de construire une connaissance commune puis d’élaborer une référence évolutive : le projet. Et seul l’établissement d’un langage compréhensible par tous permet de façonner des méthodes de travail impliquant tous les acteurs, permet les négociations et les arbitrages, participe à créer une dynamique collective au sein d’une cité.
A Saint-Etienne, l’exposition du projet urbain de la ville, mise en scène avec talent par le designer François Bauchet, a été visitée par 23000 personnes, 1500 d’entre elles prenant la peine d’exprimer leur point de vue. Des conférences, des visites de sites ont été organisées et son succès même a marqué un tournant dans la compréhension, par le grand public, de l’enjeu que représentait pour Saint-Etienne la question urbaine, les partenaires mesurant mieux, à cette occasion, l’ambition que le projet public portait. Ce succès confirme aussi la pertinence de l’objectif du maire, Michel Thiollière, de faire de l’évolution de la cité une culture publique.
On peut en effet être inventifs, parler de la cité autrement. Et la culture peut y jouer un rôle pédagogique. Un exemple parmi d’autres est celui de l’installation « Vous êtes ici », faite par le groupe Dunes en 1999 à Marseille. Cette installation invitait le public à l’expérience physique d’un espace public éphémère créé sur le toit de la friche de la Belle de Mai. La matérialité presque tactile en était donnée par des images de la ville au quotidien, des sons, familiers ou confus, indéterminés, des gens filmés ou réels. Les artistes avaient choisi de donner corps et sens au lieu en se gardant de livrer un message simpliste, de donner à voir une complétude. On est loin de certaines approches pédagogiques qui prennent le public pour un âne que l’on doit instruire, cultiver : c’était un monde complexe qui était offert à l’esprit et au corps du public.
Pédagogie et urbanisme, plutôt qu’étaler des bonnes intentions ou des recettes, peut-être doit-on les aborder comme un des prétextes à la vitalité culturelle et démocratique de notre société urbaine.
(1) Ariella Masboungi a coordonné un numéro spécial de la revue « urbanisme » consacré à l’illustration des projets urbains.
Jean-Pierre Charbonneau, Montclar, le 17 Août 2002