Espace public et centralités à Lyon

Le Grand Lyon est une agglomération de 1,2 millions d’habitants. Elle est composée de 55 communes rassemblées depuis 1969 en communauté urbaine. La ville centre, Lyon (480000 habitants) s’est construite depuis plus de 20 siècles autour du confluent du Rhône et de la Saône, entre les collines de Fourvière et de la Croix Rousse. Depuis le 19° siècle, l’urbanisation s’est largement développée au-delà du fleuve, dans la plaine de l’Est, vers Villeurbanne par exemple. Elle a rattrapé au 20° siècle des communes telles que Vénissieux ou Vaulx en Velin.
La rive gauche du Rhône et autres « centralités » du Grand Lyon…
Un des grands projets portés par Gilles Buna, adjoint au maire de Lyon et vice Président du Grand Lyon en charge de l’urbanisme et du développement durable, concerne les bas-ports de la rive gauche du Rhône. Il consiste à rendre à l’usage des piétons et des déplacements doux ce vaste site de 5 kilomètres de long, à en faire en même temps un des grands lieux de la qualité paysagère et urbaine du Grand Lyon, après en avoir évacué les voitures qui l’encombrent.
Ce projet est à plus d’un titre emblématique de la manière dont l’on aborde à Lyon le thème des espaces publics et de la centralité depuis plus de quinze ans.
En effet, il vise à faire lien physique ou urbain à toutes les échelles du territoire, il représente un choix politique clair et assumé en faveur d’une ville plus humaine et les moyens mobilisés et les méthodes mises en oeuvre sont orientés en ce sens, il conduit à aborder la complexité de la transformation urbaine dans ce qu’elle a de plus difficile, enfin il n’oppose pas centre et périphérie mais les englobe dans une même stratégie d’action.
La rive gauche du Rhône est un lieu phare, central. Mais le projet d’aménagement, étudié depuis 2001 et dont la réalisation a commencé en 2005, n’est pas refermé sur lui-même. Au contraire il fait lien à l’échelle de l’agglomération toute entière, depuis le parc de Gerland au sud jusqu’au parc de la Tête d’Or au Nord, puis en direction de la Feyssine à Villeurbanne et de Miribel-Jonage à Vaulx en Velin. Ensuite, au contact de sites différents, son unité, sa linéarité s’enrichissent des singularités locales, permettant l’ancrage dans les quartiers traversés et le lien avec eux. A la Fosse aux Ours, un amphithéâtre ouvre le quartier de la Guillotière sur le Rhône, plus au nord, à l’approche de la Cité Internationale, le bas-port se fait plus naturel et anticipe les lônes, paysages humides laissés par le fleuve. Le long de quartiers d’habitation et sans que cela n’encombre l’espace, des aménagements ponctuels en direction d’usages locaux sont réalisés. Cette longue bande de nature parfois brutale du fait de la violence fréquente du fleuve, assure en fait un lien physique autant que symbolique dans le Grand Lyon.
Un autre espace de centralité, dans la Presqu’île cette fois, au c¦ur de la métropole lyonnaise, a également participé à renforcer le lien social dans l’agglomération : la rue de la République réaménagée dans les années 90. Grand espace piéton de nouveau envahi par les automobiles et dégradé au fil du temps, il devait être réhabilité, contribuant avec d’autres sites à la redynamisation de la Presqu’île. Celle-ci avait en effet vu son attractivité beaucoup faiblir, notamment sur le plan commercial, du fait de la concurrence du nouveau quartier de la Partdieu et de grands centres commerciaux à la périphérie. Au contraire de projets antérieurs restés dans les cartons et qui entendaient retrouver la rue impériale bourgeoise du début du XX° siècle, la municipalité d’alors choisit, suite à une étude sociologique montrant que cet espace était devenu le lieu de socialisation des jeunes des banlieues, d’en faire un grand site libre, ouvert, accueillant pour tous. Ainsi fut-il conçu et réalisé.
Chaque fois s’exprime un choix politique clair en faveur d’une ville plus humaine. Mais cela ne va pas de soi quand l’espace urbain est par essence un lieu de contradictions. Et s’il faut travailler avec tous les acteurs ou les utilisateurs (commerçants, associations, habitants, institutions, etc.), la somme des intérêts de chacun ne fait pas intérêt commun. Alors, agir sur les centralités comme sur l’espace urbain signifie choisir, décider d’une position exprimant l’intérêt public, un engagement… Faire de la politique en quelque sorte car l’arbitrage dans le conflit récurrent entre automobiles et piétons, entre les usages à venir de l’espace ne se fait pas tout seul ! Gilles Buna a ainsi tenu bon pour que soient évacuées les voitures du bas-port ; il a également confirmé la simplicité élégante du projet des concepteurs, permettant un large volant d’usages sans obérer l’avenir.
Le choix de ces orientations, issues de débats qui sont naturels, a chaque fois été rendu possible par la mise en place de lieux de décisions rassemblant tous les élus impliqués. Sans cette organisation, il est très difficile de mener à bien et d’assurer jusqu’au bout la qualité de projets tiraillés entre des demandes contradictoires.
Mais pour se concrétiser, les choix politiques doivent également s’appuyer sur des moyens, des méthodes, des savoir-faire. L’aménagement en effet ne peut se satisfaire de décisions dont la concrétisation serait illusoire, de l’énumération de principes qui s’affranchiraient de la recherche de solutions.
Les services techniques du Grand Lyon ont donc orienté depuis plus de 10 ans moyens humains et méthodes dans ce sens et, par exemple, ils se concentrent sur le métier de maître d’ouvrage. Jean-Louis Azéma, directeur des Espaces Publics, conduit ainsi le projet d’aménagement de la rive gauche et en même temps coordonne les études et les actions qui vont permettre de libérer ce site des voitures (comment réorganiser l’accessibilité au centre de Lyon, le stationnement, quels usages privilégier, quel lien avec les quartiers environnant ? etc.).
Cela s’accompagne de l’appel à la compétence de maîtres d’¦uvre privés pour faire les études ou concevoir les projets. En leur temps, A.Chemetoff, M.Bourne, D .Buren et bien d’autres architectes, paysagistes, designers ou par exemple ingénieurs ont été mobilisés sur les multiples réalisations qui ont donné corps au plan Presqu’île. A présent, le projet de la rive gauche du Rhône est dessiné, suite à un marché de définition, par l’équipe In Situ/ F.Jourda/ Coup d’éclat.
Les services des collectivités se sont concentrés sur leur responsabilité première, la conduite de la transformation urbaine. L’application aux centralités s’est à ce sujet révélée parmi les tâches les plus difficiles car elle concerne l’urbain dans ce qu’il a de plus complexe (multiplicité d’usages, de logiques, de partenaires aussi). L’évolution de la Presqu’île en témoigne.
Le projet était conduit par Henry Chabert, élu alors en charge de l’urbanisme. Il s’agissait de s’appuyer sur la rénovation des espaces publics pour redonner sa qualité à ce territoire. Mais comme pour la rive gauche du Rhône, il fallait avant d’aménager les lieux les libérer et donc réorganiser en ce sens le fonctionnement tout entier du centre. Ce ne pouvait être bien sûr qu’une action partenariale, ne dépendant pas d’un maître d’ouvrage unique.
Un projet urbain fut donc élaboré par le Grand Lyon, le plan Presqu’île. Il consistait à renvoyer la circulation automobile en périphérie du site, à construire des parkings sous les places, à rénover celles-ci et à aménager de nouveaux squares, à réorganiser le réseau de transports en commun en créant notamment une navette Presqu’île, à faciliter l’accessibilité aux activités notamment commerciale du centre par un système de contrôle d’accès. Ce plan constituait un cadre de cohérence pour toutes les actions menées, quel qu’en soit le maître d’ouvrage, et des actions complémentaires vinrent en grossir les effets (rénovation de l’Opéra, mises en lumière, campagne de ravalement, etc.).
Ce fut un des terrains de l’apprentissage au nouveau métier de maître d’ouvrage. Intégrer le partenariat obligé, avoir une capacité à écouter les acteurs dans leur diversité, y compris les « habitants » en intégrant l’ambiguïté que ce concept renferme, coordonner les actions, les procédures, faire décider…les techniciens sont passés en quelques années de compétences spécialisées, fonctionnelles à l’obligation d’aborder les multiples facettes de l’urbain. Ils ont évolué de logiques verticales, de visions sectorielles à une approche horizontale, complexe du phénomène urbain. Ils ont donné ainsi aux collectivités la capacité nouvelle de s’attaquer à la maîtrise de l’évolution de leur territoire et de leurs quartiers, loin de l’idée qu’il n’est d’action urbaine que dans le développement ou dans la création de nouveaux secteurs.
Le Grand Lyon est de fait actif sur tout son territoire, dans toutes les communes, sur toutes les typologies urbaines. On n’y oppose pas centre et périphérie, il n’y a pas de hiérarchie entre eux mais, à l’image de la rive gauche du Rhône ou de la rue de la République, ils sont englobés dans une même stratégie d’action. C’est en cela une caractéristique des politiques urbaines qui y sont menées, un témoignage de leur continuité au-delà des changements politiques.
Il y a des centralités, toutes de niveau différent mais elles ne constituent pas des priorités inaliénables. Ce sont des sujets parmi d’autres de l’action urbaine et, pendant que la Presqu’île était rénovée, une vaste politique en direction des espaces publics des quartiers sensibles du Grand Lyon et des c¦urs des communes était conduite. Y fut mis autant d’argent que dans la Presqu’île elle-même et, quand celle-ci ne fait plus à présent l’objet de travaux, à Vénissieux, Vaulx en Velin, Lyon La Duchère ou par exemple Rilleux la Pape, la rénovation des quartiers se poursuit, dans les centres des communes également comme en témoigne, après l’avenue Henri Barbusse à Villeurbanne, l’aménagement de la place Lazar Goujon. Au total, ce sont plus de 300 sites qui furent ainsi rénovés en 10 ans. Ce chiffre maintenant largement dépassé n’a plus beaucoup de sens puisque le travail sur les espaces urbains n’est plus une nouveauté dont il faut démontrer la nécessité et l’efficacité mais une action normale des collectivités, intégrée, assumée.
Cette approche s’accompagne de la mise en place de principes bien ancrés aujourd’hui. Ainsi est acquise une certaine unité de traitement, de vocabulaire des sols et de mobilier urbain quels que soient les lieux dans l’agglomération. Un autre principe consiste à prendre acte que la ville et la vie sont partout et qu’il convient donc d’avoir la même attention, la même qualité partout, même si le niveau de traitement est modulé, différent.
Les résultats sont à ce titre visibles et une sorte d’écriture commune s’est ainsi constituée. De même une similitude d’approche de la complexité est perceptible dans les projets Presqu’île et rive gauche du Rhône d’une part et centre de Vaulx en Velin ou Duchère à Lyon d’autre part.
Toute action sur le(s) centre(s) se situe en même temps dans une stratégie, une action à l’échelle de l’agglomération. C’est une nécessité urbaine, technique et libérer les espaces de la presqu’île a ainsi été rendu possible grâce à la construction de parkings en périphérie et du fait de la création de la ligne D du métro. C’est en même temps un choix politique assumé comme le montre la rive gauche du Rhône, c’est une stratégie et travailler sur les centralités se justifie parce que les collectivités agissent sur les quartiers sensibles…
Le centre est en lien physique avec le reste de l’agglomération et la presqu’île est le lieu de rencontre et d’échange de tout le Grand Lyon, la rive gauche du Rhône est un lien nord-sud à cette même échelle, un lien est-ouest entre les quartiers qui la bordent. Mais le centre est également en lien « symboliquement et politiquement » avec les autres parties de la ville.
JP Charbonneau