Le centre-ville de Saint-Denis est actif, vivant : 30 000 personnes au marché du dimanche matin, 400 commerces sédentaires, 120 000 visiteurs chaque année dans la basilique… ll est à la fois un pôle d’attraction pour le secteur nord-ouest de l’agglomération et un lieu résidentiel où habite 20 % de la population de la ville. En 2000, la municipalité a décidé de le rénover pour tenter de pallier ses nombreux dysfonctionnements : commerces fragiles, espaces publics de faible qualité, engorgés certains jours, nombreux immeubles insalubres… Il s’agit aussi d’anticiper les chantiers à venir à la périphérie : deux lignes de tram, un pôle gare, un nouveau quartier Porte de Paris. Jean-Pierre Charbonneau, urbaniste, consultant en politiques urbaines et culturelles, évoque sa mission d’élaboration et de suivi de ce projet urbain que lui a d’abord confié la Ville, puis Plaine Commune, devenu maître d’ouvrage.
La volonté du maire, Patrick Braouzec, relayé depuis par Didier Paillard, était que le projet urbain de transformation du centre soit un support de la vie démocratique. Cette exigence s’inscrit dans la tradition politique et sociale de Saint-Denis qui, étant de plus une ville d’accueil, doit mettre en ¦uvre tout ce qui peut favoriser la vie ensemble – notamment l’implication des habitants dans l’évolution de leur cité. Saint-Denis est en cela emblématique de la société contemporaine, elle en connaît toutes les divergences et les oppositions : le grand stade et les sans-papiers, le secteur de la Plaine et l’habitat indigne, des Dyonisiens de longue date attachés à leur cité et nombre de nouveaux arrivants… Elle doit également affronter des difficultés communes à bien des cités.
Pour une démocratie sans démagogie
Nous avons abordé cette réflexion par les espaces publics et leurs usages au regard des contraintes d’accès (circulation des transports en commun et des voitures, stationnement, desserte des fonctions urbaines). Deux grandes hypothèses ont été étudiées avec les techniciens : un grand plateau piéton avec accès contrôlé, et un secteur accordant davantage de place aux piétons mais permettant la traversée en automobile.
Des dispositifs de concertation existaient déjà, d’autres ont été mis en place. Le “groupe de travail habitants”, formé de trente personnes rencontrées régulièrement, travaille sur les dossiers et donne son avis sur les propositions. Les “démarches quartiers”, une par secteur de la ville, suivent la politique municipale et ses projets, la discutent et la nourrissent.
Les hypothèses, traduites avec le service Communication en documents grand public (dessins, vidéos, plans), ont été expliquées, discutées, affinées. Un sondage a révélé que 70 % des Dyonisiens venaient à pied au centre-ville, qu’ils souhaitaient que celui-ci devienne piéton mais que les bus continuent à le traverser. Cette demande, souvent apparue dans les débats, a mené à l’étude d’une troisième solution : l’hypothèse bus-piétons.
Les Assises du centre-ville de 2002 ont rassemblé 400 personnes. Elles ont clos les discussions préalables dont le contenu a été synthétisé puis présenté en même temps que les alternatives au conseil municipal, lequel a tranché en faveur de l’option bus-piétons.
Ce choix effectué, les études pouvaient se poursuivre sur une base comprise par tous et assumée (l’élaboration du projet urbain s’est faite pas à pas en quelque sorte). Cette phase a aussi permis, en informant largement, de mobiliser d’autres acteurs présents sur le site ou impliqués : la RATP, les associations, les commerçants, les responsables d’institutions culturelles, les gestionnaires de parkings ; d’un projet urbain, on est passé à plus de quarante actions. Celles-ci concernent tous les secteurs de la vie du centre et sont désormais coordonnées au sein d’un comité de pilotage hebdomadaire présidé par un élu, Francis Langlade, et animé par le directeur général de la Ville, Luc Bouvet. La suppression du stationnement de surface dans le secteur piétonnier a par exemple conduit Plaine Commune à rénover le parking public Basilique, à rendre cohérente son accessibilité avec celle des parcs privés et à restructurer la tarification sur chaussée autour du centre.
La consultation des habitants est une pratique démocratique, qui leur permet de participer activement à la vie de la cité. Elle s’avère même indispensable pour résoudre avec succès les problèmes posés par la complexité de l’urbain et par son évolution, en multipliant les thèmes abordés et les actions, et en impliquant directement les partenaires.
La connaissance des usages et des attentes s’en trouve approfondie, suscitant des réponses plus justes et plus crédibles. Ce qui est primordial car la valeur de la démocratie se juge souvent à la pertinence de l’action publique. Il ne faut toutefois pas confondre démocratie et démagogie et laisser croire que chacun est décideur ou “architecte”.
La qualité des relations de coopération
Car démocratie sous-entend également règles de fonctionnement, ainsi que l’illustre le choix du projet pour le secteur des places du centre-ville (l’un des quarante projets). Après des études de définition durant lesquelles les concepteurs ont d’ailleurs rencontré et écouté des habitants, le jury s’est prononcé à l’unanimité en faveur de la proposition de l’architecte Franco Zagari. La concertation s’est poursuivie : “groupe de travail habitants”, “démarches quartier”, exposition, publication dans le journal municipal, Assises du centre-ville 2003. Un choix différent semblait alors se dégager. Là encore, la synthèse des échanges a été présentée, avec les trois alternatives, aux conseils municipal et communautaire qui ont, après des débats assez vifs, décidé de retenir le projet plébiscité par le jury. Démocratie locale ne signifie donc pas gestion du consensus mais capacité d’assumer les divergences dans un processus décisionnel. Cela suppose un fonctionnement d’une grande rigueur.
Mais la démocratie ne s’exerce pas seulement dans la possibilité de participer aux choix. Elle s’exprime aussi dans l’entretien de relations de coopération avec les administrés : savoir leur expliquer, écouter…et avancer.
Dans le cadre du projet centre-ville, la halle et la place du marché sont rénovées. Les commerçants doivent donc, durant huit mois, libérer les lieux. Après étude de plusieurs sites, la municipalité leur a proposé de s’installer sous un chapiteau à proximité, sur la place du Huit Mai libérée à cette intention. Le plan du marché, son fonctionnement, son approvisionnement, l’évacuation des déchets, tout a été déterminé en concertation avec les commerçants. Depuis le 11 mars 2005 – et jusqu’à fin novembre –, le marché est donc déplacé et une campagne d’information commune a été menée. Démocratie locale signifie donc aussi qualité de la relation avec ceux qui font la vie de la cité.
Dans le même sens, à l’occasion de la fermeture du plateau piéton, la Ville et la Communauté ont mis en place un dispositif d’information et d’accueil des riverains du secteur devant disposer d’un badge pour accéder à leur habitation. Environ 800 personnes ont ainsi été rencontrées pour un entretien personnalisé, ce qui a permis d’avoir une connaissance plus complète des problèmes pouvant se poser et donc de les anticiper. Cette méthode participative, voulue par les élus, est précieuse à la fois pour mener à bien un projet d’une telle ampleur et pour assumer une des responsabilités de toute collectivité : être attentive à la qualité du service rendu à la population. Le directeur général de la Ville a mis à profit ce projet centre-ville pour mobiliser et organiser l’administration en ce sens, mettant des moyens humains et des compétences au service du développement de la démocratie locale.
Cela se traduit par un plan de gestion de l’espace public ou, dans le domaine culturel, par une série d’actions visant à familiariser le public avec le centre et son évolution. Le passé urbain est évoqué par le service de l’Archéologie, son présent est raconté à la médiathèque, notamment par des enfants des écoles, et le futur est anticipé à l’occasion de fêtes ayant lieu sur le site piétonnier avant rénovation, ou au travers d’interventions artistiques telles que le concert de Nicolas Frize dans l’îlot Cygne, lieu délabré, inconnu du public, mais magnifié à cette occasion.
Jean-Pierre Charbonneau