De la nécessité d’un nouveau Plan Lumière à Lyon
A la fin des années 80, Lyon a engagé un premier Plan Lumière, démarche toute nouvelle à l’échelle d’une grande ville. Le paysage nocturne en a été transformé pour le plus grand plaisir des lyonnais. Et la ville autrefois réputée triste s’est mise à vivre la nuit. L’on disait qu’elle se cachait, elle s’est offerte au regard. On la visite même pour la mise en valeur de son patrimoine, de son site.
La lumière a contribué à changer Lyon. C’est à présent une ville moderne, rajeunie, vive, attractive. Alors, les initiatives nouvelles doivent aussi témoigner de ce changement, sans les opposer à ce qui a fondé le rapport de Lyon à la lumière.
Ainsi l’architecture, le patrimoine, le site avec ses fleuves et ses collines sont souvent de grande valeur. Mais les quartiers, avec leur identité, leurs ambiances, leur dynamisme sont aussi une qualité de notre cité, une réalité. La lumière devrait être capable de donner à voir ces personnalités-là, de les raconter.
Et puis les initiatives publiques ou privées se multiplient et c’est heureux. Mais la nuit n’est-elle pas aussi une qualité à préserver, ne faut-il pas éviter la cacophonie qui, cumulant les effets, au bout du compte ne raconte plus grand-chose ? Ce concert d’initiatives doit jouer la même partition. D’ailleurs, peut-on aujourd’hui éclairer sans compter !
Le temps a passé, les techniques ont évolué depuis les premiers projets. Le Festival des Lumières, les fêtes ont permis d’intégrer l’image, le mouvement, la couleur. La lumière a pu s’affranchir des bâtiments sur lesquels elle se projette. Le style, l’écriture des projets pérennes ne doivent-ils pas intégrer ces innovations ?
Telles sont certaines des questions que Gilles Buna, élu en charge de l’urbanisme à la Ville de Lyon et au Grand Lyon, a souhaité que les collectivités se posent. Un nouveau Plan Lumière a donc été mis en chantier dont le sens était d’aborder ces champs nouveaux et de permettre à cette discipline, qui a tant révélé de notre cité, de continuer d’en raconter le dessein. Lyon a été une des villes précurseurs, elle souhaite par là continuer à jouer un rôle pilote, alors que le thème de la lumière urbaine s’est généralisé.
Des orientations mises en débat
Le nouveau Plan Lumière est un projet qui donne des orientations, des priorités, qui liste des actions. Mais c’est aussi une philosophie portant un sens, définissant un esprit, des principes et dont le succès passe par son appropriation par tous ceux qui interviennent sur la nuit : les collectivités, les acteurs économiques, culturels, les industriels, les commerçants, etc. Son originalité tient donc aux nouveaux aspects abordés mais aussi à la méthode employée pour en déterminer le contenu. Il a en effet été enrichi grâce à une mise en débat suscitée auprès de professionnels de diverses origines (créateurs, techniciens, sociologues, urbanistes, industriels, écoles…) qui ont pu exprimer leur point de vue, apporter leur savoir, leur capacité d’innovation. Ce débat a été piloté par Gilles Buna et organisé par un groupe de travail en appui de la direction de l’Eclairage public, maître d’ouvrage aussi du premier Plan Lumière. La discussion s’est exercée à partir des premières orientations déjà définies par le groupe de travail et elle a porté sur trois thèmes :
. la création, la vision de la ville,
. l’évolution des techniques et l’écologie de la lumière,
. la mise en ¦uvre du nouveau Plan Lumière.
A l’issu de ces ateliers qui se sont achevés en juin 2004, la version définitive a été élaborée et présentée en décembre.(…)
Le nouveau Plan Lumière
Il n’édicte pas une suite de règles mais brosse un cadre conceptuel, un projet dynamique pouvant être repris par les nombreux partenaires. L’esprit dans lequel les préconisations ont été élaborées, la grande liberté d’analyse et de proposition, l’ouverture qui ont présidé montrent que nous sommes sûrement à présent à l’âge adulte des rapports de la cité à la lumière.
Du patrimoine à l’activité humaine, à la vie de Lyon
D’abord il s’agit de poursuivre ce qui a été fait, de l’améliorer et c’est le sens de ce que l’on peut appeler l’armature du Plan Lumière de Lyon, ce qui en constitue la structure et en formera la partie pérenne.
Lyon est en effet une ville-site dont les fleuves, les collines, les grands axes, les lieux emblématiques tels que Fourvière ou la Cité Internationale constituent l’armature. Leur illumination sera donc complétée avec une attention à la justesse de ce qui sera conçu : la Saône romantique et ses collines, le Rhône majestueux. Et par exemple, la transformation partielle des berges des fleuves en cours va permettre de concrétiser ces principes. Le nouveau Plan Lumière se veut en effet pragmatique et, cohérent avec le Projet urbain de Lyon, il s’appuie sur les réalisations programmées (le Confluent, le tram,…).
Mais après la célébration du patrimoine, du site, de nouvelles orientations aussi se dessinent, liées à la conviction que la cité n’est pas seulement singularité d’une géographie ou d’une histoire. La lumière doit raconter aussi le récit de l’activité humaine, de la vie urbaine. On cherchera donc à donner à voir le mouvement, la couleur, le changement, les gens, les quartiers et leur personnalité, les activités et les temporalités. En quelque sorte la représentation d’une vision plus complexe de la ville et de la société.
Une approche des différentes échelles de territoires, les quartiers, des temps différents
Mais comment faire concrètement pour exprimer la vie ? Comment révéler des identités nocturnes, en façonner d’autres, inventer des histoires parlant des lieux, des gens, du temps ?
L’on se fonde pour cela sur des approches par territoires. Elles sont élaborées grâce à une méthode, une organisation nouvelles, mises en place autour d’un Atelier Lumière. Celui-ci donne des orientations, il est garant de la cohérence. Une maîtrise d’ouvrage élaborée (la DETU de la Ville de Lyon) est d’autre part chargée d’analyser avec attention les contextes des sites, d’en approcher la connaissance tout en mobilisant les acteurs, puis de conduire les projets. Des commandes très précises à partir de programmes sont enfin confiées à des concepteurs utilisant l’écriture lumineuse.
Des Plans Lumière territoriaux
Des préconisations par territoires sont faites par l’Atelier Lumière assisté autant que possible par des acteurs locaux. Elle concerne les ambiances (calmes, sereines ou au contraire dynamiques, vives), le style (inventif et coloré ou classique), les lieux à illuminer, les temporalités (pérenne, éphémère, hebdomadaire, etc.). Elles tiennent compte des réalisations existantes, des projets d’aménagement programmés. Elles donnent des priorités, suggèrent les commandes à passer, à quel profil de concepteur, etc. Elles servent aussi de cadre aux initiatives publiques ou privées. (…)
Il s’agit de s’appuyer sur l’écoute du public, la parole des acteurs, la demande politique, de profiter des énergies, des opportunités, de la connaissance des professionnels pour établir des recommandations fondées sur une attention au site, sur un état des lieux urbain, historique, culturel, social, pour donner du sens.
Bien entendu, ce ne sont pas des carcans mais une nourriture, un terreau pour ceux qui ont à imaginer les projets.
Les Projets Lumière pilotes
Le nouveau plan Lumière évoluera dans le temps, car comme la vie culturelle ou urbaine, la ville évolue. Les plans Lumière territoriaux accompagneront cette évolution.
Dans le même temps, des projets Lumière pilotes sont conçus et mis en ¦uvre. Il s’agit de concentrer en certains lieux des actions lumière, pilotées par la collectivité, conçues par des créateurs et qui sont l’expression de notre temps. Une démarche en fait politique et culturelle.
Plusieurs exemples sont en cours d’étude pour une mise en ¦uvre en 2006. Un parcours de lumière sur les pentes de la Croix Rousse, accompagnant un parcours historique et touristique, la mise en lumière du c¦ur du quartier de Vaise en prolongeant les réalisations existantes (la médiathèque, le métro ou la mairie) par la Grande Rue de Vaise ou la place Valmy, l’illumination du Cours du Docteur Long et de son entour, mêlant travail sur la rue, sur les équipements publics et sur les « portes » du quartier vers l’extérieur.
Là encore une analyse du contexte est faite par l’Atelier lumière, des programmes sont réalisés, des commandes sont confiées à des concepteurs privés. Le partenariat avec le public est recherché pour des projets chaque fois spécifiques. Le souci de développer la créativité se traduit par la réservation, dans les commandes, de la conception de micro évènements lumière destinés à des créateurs non spécialistes épaulés par des techniciens. D’ici quelques temps, plusieurs dizaines de micro commandes auront ainsi été lancées en parallèle des projets « normaux ». (…)
La prise en compte de nouveaux thèmes
La commande politique de Gilles Buna, le travail préparatoire et les débats fondateurs ont conduit à intégrer des sujets tenus désormais comme essentiels à cette étape de mise à plat et de reconfiguration de la démarche lumière à Lyon.
Les temporalités
Les illuminations doivent raconter la ville et la vie. Or celles-ci sont toujours en mouvement. Et puis est-il nécessaire de toujours éclairer de la même manière, continuement ? Le nouveau Plan Lumière répond en demandant que dans tout projet la dimension temporelle soit abordée, rendant nécessaire de trouver les solutions techniques adaptées, même si elles sont à présent encore incertaines.(…)
Le développement durable
Ce thème traverse maintenant tous les domaines de l’activité humaine et prend ici aussi tout son sens. L’atelier spécifique traitant de ce sujet a permis d’en faire une vaste exploration allant de la diminution de la consommation électrique au recyclage des matériels ou à la protection du ciel nocturne. La Ville de Lyon s’est engagée à accélérer les mesures en ce sens. Citons la poursuite d’un plan de sources visant à remplacer ce qui existe par des sources moins consommatrices, le lancement de plusieurs programmes de dépollution lumineuse de sites avec des écoles d’ingénieurs, la modularité du temps d’éclairage de chaque mise en lumière, l’attention au juste éclairement sans excès ou l’utilisation de lampes sans mercure et sans plomb. Citons également la préservation de l’obscurité dans certains espaces naturels comme le parc de la Tête d’Or de manière à ne pas perturber les rythmes de la faune. (…)
La création
C’est une des façons d’exprimer la réalité du monde contemporain. Elle est donc au c¦ur du nouveau Plan Lumière. Il s’agit de profiter des acquis des actions pérennes et notamment du savoir développé par les concepteurs, des leçons aussi de la Fête des Lumières pour ouvrir plus grand le champ de la création.
L’approche en cours fait un appel plus large à des créateurs, leur confiant des commandes aux diverses échelles du territoire, en lien avec cette attention nouvelle portée par la collectivité. D’autre part, le profil de concepteurs sollicité est également ouvert à des plasticiens, des designers, des architectes. Ils ne possèdent souvent pas le savoir technique mais à cela plusieurs solutions et par exemple on leur associe des bureaux d’étude compétents dans ce domaine.
Les micros évènements sont aussi l’occasion de tester de jeunes créateurs, de les familiariser avec ce thème.
Derrière cette approche se dessine la nécessité d’une grande rigueur de direction artistique, tâche assumée par l’Atelier Lumière en appui de la direction de l’Eclairage public.
L’expérimentation
Le thème de la lumière est amené à évoluer fortement dans l’avenir. Figer une démarche pour un temps long n’aurait donc pas de sens. C’est la raison pour laquelle, souhaitant en continu profiter des découvertes, des techniques récentes, des approches innovantes, la Ville de Lyon a souhaité que l’expérimentation soit un des aspects fondateurs du nouveau Plan Lumière. Cela est ressortis des débats et un accord de partenariat a été conclus notamment avec des grandes écoles et des industriels. L’objectif est de continuer à faire de Lyon un pôle d’excellence européen sur ce thème.
A l’heure actuelle, plusieurs expérimentation ont été faites ou sont en cours. C’est par exemple, avec l’ENTPE, la dépollution lumineuse de plusieurs sites ou la perception de la lumière par les mal voyants. (…)
Une méthode nouvelle pour des projets plus complexes
La description de l’approche engagée montre qu’il s’agit de mener des projets plus complexes. Les méthodes de la maîtrise d’ouvrage doivent donc s’adapter. Elles se rapprochent en cela de l’exercice de ce métier dans le développement urbain. Un chef de projet est responsable, chargé des programmes, des commandes, du suivi des opérations, de l’animation du partenariat. Diverses compétences extérieures lui sont associées et notamment des concepteurs chargés de concevoir les projets.
Les méthodes de la Ville de Lyon ont donc elles aussi évolué.
La responsabilité politique est assurée par Gilles Buna. La conduite du nouveau Plan Lumière est faite par la direction de l’Eclairage public assistée de l’Atelier Lumière.
Celui-ci comprend
– Antoine Bouchet, directeur de l’Eclairage Public de la Ville de Lyon
– Jean-Pierre Charbonneau, urbaniste, conseiller technique de la Ville de Lyon
– François Brégnac, directeur-adjoint de l’Agence d’urbanisme pour le développement de l’Agglomération lyonnaise,
– Emilie Michaud, ingénieur à la DETU de la Ville de Lyon.
Son rôle a été décrit en partie ci-dessus. Notamment il est garant de la mise en ¦uvre du nouveau Plan Lumière en incitant les partenaires à en suivre les orientations et les recommandations. Il élabore avec les acteurs locaux les plans lumière territoriaux, initie les projets Lumière pilote. Il assure la direction artistique, centralise et diffuse l’information sur l’avancement du nouveau Plan Lumière. Il oriente les expérimentations, contrôle la bonne conduite des projets et leur adéquation aux programmes.
La conduite des projets eux-mêmes fait appel à une maîtrise d’ouvrage spécialisée en opérations complexes, la direction des Etudes et Techniques urbaines (DETU). Service de la Ville de Lyon, elle agit en appui de la direction de l’Eclairage public et de l’Atelier Lumière.
Cette organisation témoigne de ce que la collectivité entend tirer les leçons du passage de la lumière à une discipline à part entière de l’évolution urbaine.
Jean-Pierre Charbonneau, in revue Topos, 2005