Est-ce un slogan ou un objectif raisonnable ?
Un des buts de l’action urbaine est de rendre la vie plus agréable. Elle doit aider à régler des problèmes. Or les politiques publiques sont impliquées dans les grands projets, les lieux à enjeux, mais peu présentes ailleurs, dans ce qui forme la majorité des endroits de vie. Il faut donc faire beaucoup car l’on doit améliorer la condition urbaine* partout et pas seulement dans les centres ou quelques lieux emblématiques. De plus, à l’heure de l’extension rapide des villes, l’on ne peut finasser et courir avec des modes de faire inadaptés après une réalité qui du coup nous dépasse.
Or le temps n’est plus à la dépense. Dans les collectivités, un sou est un sou et il faut s’habituer à faire avec moins. Mais devons-nous regretter les ronds-points inutiles, les alignements de bordures cossues, le réflexe de tout casser avant de construire, les aéroports qui attendent toujours les avions, les équipements qui attendent leurs publics ? Et si la diminution des budgets permettait de retrouver les fondamentaux !
Il faut faire vite car les difficultés peuvent être graves (habitat indigne, espaces en déshérence…) et ne feront qu’empirer si l’on ne s’y attaque pas. Or il faut en général du temps pour qu’une collectivité agisse : 4 ans, 6ans ? Faire vite permet de prendre le problème au bon moment, quand il en est encore temps. L’on peut alors lui apporter une réponse simple, adaptée sans qu’elle ait toujours un train de retard.
Faire bien ? On peut se demander si une partie de notre travail ne consiste pas à reprendre ce qui, en son temps, a été mal pensé, mal décidé, mal fait. Des échangeurs que l’on casse, des autoroutes dont on fait des boulevards urbains, des parkings qui deviennent des squares, des logements sociaux qu’il faut réhabiliter pour la quatrième fois…Faire bien c’est apporter un élément de plus et qui dure au patrimoine urbain, c’est répondre aux usages, apporter des réponses justes, créer des ambiances, donner la capacité d’évoluer…
Plusieurs collectivités ont engagé de telles politiques sur le sujet des espaces publics. Comment faire ? Doit-on inventer des méthodes nouvelles ou s’appuyer sur les pratiques existantes et les préciser, les approfondir, les rendre plus opérantes ? Sont notamment convoquées la politique, la technique, l’organisation et la compétence.
La politique doit être présente car il faut chercher les sites défaits, les « sans grâce », les parcours et les lieux de la vie quotidienne et décréter qu’ils sont dignes de qualité. Puis, à partir de l’analyse de leur importance, il faut décider de ce que l’on y veut, du niveau d’intervention souhaité (de la gestion renforcée à la transformation complète), du budget que l’on souhaite y mettre. N’est-ce pas le moins que l’on puisse faire ? Souvent la demande sociale ne va pas au-delà, seule l’habitude conduit à toujours tout rénover, le goût du travail bien fait aussi, oubliant qu’un bon projet est juste, pas forcément riche.
La technique est sollicitée car il faut récupérer des éléments (des sols, du mobilier…), les réparer, en changer d’autres, que le tout fonctionne. L’on doit gérer l’eau, ne pas refaire tous les réseaux, s’appuyer sur des fondations existantes, maîtriser le budget… En fait il s’agit d’une approche qui, portant attention et prenant soin au lieu de jeter, prend ses distances avec la « société de consommation ».
L’organisation est en jeu car les collectivités sont structurées pour investir (des sommes importantes pour casser et refaire) ou pour gérer l’existant (avec des budgets en diminution). Entre les deux, pas de nuance. Adapter la réponse au contexte remet cela en cause et mobilise les acteurs hors de leur pratique courante. Or il faut faire vite. L’organisation doit donc être efficace car des programmes, des projets sont à élaborer, concerter, arbitrer entre hypothèses et contradictions qu’ils suscitent. Cela ne peut être sans la construction anticipée d’un calendrier clair, sérieux, partagé, qui donne à l’avance les rôles, les étapes et les dates.
L’appel à la compétence est nécessaire. En effet l’on doit coordonner des opérations qui, petites ou grandes, sont toujours complexes. L’on doit, non pas répondre à chaque demande ce qui est créateur d’incohérence et de déqualification, mais faire projet. Il faut pour cela aller à l’essentiel, apporter des solutions adaptées, qui s’épurent des excès et des facilités, qui à défaut de coûter innovent, recyclent. L’on doit être capable de voir, plus que leurs défauts, les qualités de toute chose et les féconder, intégrer les nouveaux modes de vie…
« Faire beaucoup avec peu, vite et bien » induit un état d’esprit qui s’affranchit des recettes et des habitudes, ouvre la capacité au changement, fait appel à l’intelligence. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, d’une perte de qualité du fait de projets pauvres mais de la création de transformations justes. Il n’y a pas moins d’écoute mais plus de pertinence, plus d’ambition aussi, celle d’améliorer la vie urbaine et sociale sans attendre et partout, avec les moyens disponibles.
Certaines des réflexions que porte Tous urbains, parlent d’incapacité à comprendre la réalité contemporaine et donc à imaginer des réponses pertinentes. D’autres sont engagées dans l’action, en reconnaissent les vertus mais aussi les limites. La méthode qui consiste à prendre soin des lieux, à aller à l’essentiel, à chercher des solutions adaptées au contexte et aux ressources, est une piste à poursuivre. En Europe, elle colle au plus près des évolutions sociétales et permet d’intervenir en temps réel, partout si nécessaire, sans se limiter aux périmètres des grands projets. Elle est tout aussi pertinente dans les villes ou quartiers informels, quand elle n’y est pas déjà parfois appliquée sans en porter le nom.
Alors… pessimiste ou optimiste quant à l’évolution urbaine… ?
(Tous Urbains N°1)